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Histoire sociale des langues de France

 

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Le colloque du lancement du projet HSLF

à l'INALCO, Paris

 

 

 

Henri Boyer

 

ARSER-DIPRALANG

Université de Montpellier III

 

 

 

 L

 

 

Le sociolinguiste peut-il / doit-il être neutre ?

Pour une Histoire sociale des langues de France : les Actes du colloque Paris - INALCO 2004

Qui dit neutralité présuppose sinon belligérance du moins antagonisme. En matière de traitement des situations de plurilinguisme, la sociolinguistique catalano-occiane, dite parfois « périphérique » (ou encore "des chercheurs natifs") s'est distinguée dès les années soixante du XXe siècle en décelant derrière le « contact » des langues au sein d'un même espace sociétal une dynamique ouvertement ou virtuellement conflictuelle (qui peut être pour un temps occultée par la manifestation de processus compensatoires ou/et de type coopératif) (1).

 

Selon cette orientation, le sociolinguiste ne saurait être neutre car « l'attitude du sociolinguiste s'inscrit dans la chaîne des comportements idéologiques où se projette la diglossie et qui inversement en favorisent l'avance historique » (2). D'où la revendication d'une sociolinguistique impliquée. Comme le proclame la revue Lengas dès ses débuts, « la connaissance telle que nous l'entendons est d'une part déterminée par la mise en place méthodologique des concepts de diglossie et d'occitan, c'est-à-dire qu'elle n'est pas neutre.

 

D'autre part elle fait de nous nécessairement des acteurs, dans l'élucidation d'une situation conflictuelle et donc dans sa transformation » (Lengas n° 5). L'un des chapitres majeurs de cette « connaissance » concerne évidemment la mise en évidence et la dénonciation de l'idéologisation du conflit diglossique (dont la fonction première est de l'occulter aux yeux des dominés), et en premier lieu du pouvoir des représentations-stéréotypes/attitudes, qui ont un impact décisif sur la situation de dominance et sa logique substitutive. Un rappel de cette modélisation n'est peut-être pas inutile.

 

On considère donc qu´une idéologie diglossique repose sur la production de deux représentations des langues en présence : une représentation de la langue dominante (A) et une représentation de la langue dominée (B), parfaitement antagonistes. La fonction de l'idéologie diglossique est d´orienter cet antagonisme au profit de la langue A, car l'issue doit être une substitution en sa faveur, de sorte que la violence de cette logique de substitution est sinon totalement occultée du moins atténuée afin d´être acceptable. Comment ? Par le jeu subtil d'une « dualité estimatoire » (3) : « tout ce qui se rapporte à la langue dominée est à la fois dévalorisé et surévalué » (4).

 

Ainsi, si la représentation de la langue A présente un contenu nettement positif (langue de plein exercice sociétal, langue de la modernité, du progrès scientifique, technologique ...et de l'ascension sociale), la représentation de la langue B a un contenu paradoxal (langue des racines, de la sphère privée mais aussi de la ruralité, de la tradition... donc, du passé) qui tend à se figer en deux stéréotypes dont les traits sont radicalement opposés. On peut identifier un stéréotype plutôt positif (la langue B est la langue des aïeux, celle de l´affect, de l'authenticité) et un stéréotype nettement négatif ( la même langue B n'est pas une vraie langue de communication sociale ; elle est attachée à une époque révolue, un mode de vie dépassé). D'où les attitudes générées par un tel pseudo-équilibre socio-cognitif, tout aussi paradoxales : sublimation, idéalisation, fétichisation mais aussi stigmatisation, auto-dénigrement, culpabilité. D'où en aval les opinions qui s 'expriment au travers de discours épilinguistiques contradictoires (parfois d'authentiques éloges funèbres) dont le solde est négatif pour la langue B (la coercition fait son œuvre) et des comportements qui peuvent être interprétés comme des compensations dérisoires, une sorte d' « accompagnement thérapeutique » de la substitution, de l'ordre du folklore passéiste ou d'une célébration purement symbolique ( noms de rues en centre ville, ouvertures ritualisées de discours publics, bribes de langue dominée sur des affiches électorales ou des programmes culturels…). Mais le principal comportement induit, celui qui compte, c'est la non-transmission familiale de la langue B : la culpabilisation, le complexe de « patois », l'auto-dénigrement... ont montré en France leur efficacité. Cette non-transmission intergénérationnelle est évidemment le repère majeur d'une substitution en cours (5).

 

Bien entendu, la compréhension de l'idéologisation de la diglossie et le diagnostic de substitution plus ou moins avancée ne sont pas pour la sociolinguistique catalano-occitane une fin en soi. Ils sont le point de départ d'une démarche militante, volontariste, de contestation collective du conflit diglossique. R. Lafont parle de « retrousser la diglossie » (6). Certes c'est la communauté linguistique qui a le dernier mot, mais pour les sociolinguistes « périphériques », impliqués, la sociolinguistique est une arme de désaliénation d'abord, de mobilisation ensuite en faveur de la normalisation de la langue jusqu'alors dominée.

 

Je livre ci-dessous une figuration de ce processus d'idéologisation (qui bien sûr simplifie énormément quelque chose de complexe) et du rôle du sociolinguistique dans l'affaire. On sait qu'en France l'avancée de la substitution des langues minoritaires et la force de l'idéologie diglossique en vigueur à partir de la Révolution (et qui n'a pas complètement baissé la garde) font de la contestation des conflits de type diglossique et de la normalisation des langues dominées une entreprise militante particulièrement ardue, comme en témoignent les résultats souvent décevants en matière d 'enseignement. Ce que démontre à l'évidence le cas français (dans ses diverses variantes) c'est l'efficacité du processus d'idéologisation de la diglossie et de la dynamique des représentations dans l'évolution du conflil diglossique. Et il met bien en lumière ce principe sociolinguistique majeur : le traitement des situations de type diglossique ne saurait s'en tenir à la seule gestion des usages et des comportements.

Refuser une fausse neutralité n'autorise évidemment aucune faiblesse scientifique. Et dans sa démarche scientifique, le sociolinguiste impliqué doit donc, me semble-t-il, établir un diagnostic irréprochable sur la base de quelques lignes de force théoriques et méthodologiques, comme en particulier :

 

  • le refus de sacrifier la dimension microlinguistique à la dimension macrolinguistique ;
  • la priorité à donner à la vision diachronique sur une vision strictement synchronique ;
  • le choix d'envisager la configuration sociolinguistique en cause comme fondamentalement évolutive ;
  • l'importance décisive à accorder à la dimension représentationnelle du conflit sociolinguistique, latent ou déclaré, au-delà des fausses évidences comportementales et des apparents paradoxes en matière d'attitudes.

Un exemple, qui me semble une bonne conclusion, de cette attitude de sociolinguiste impliqué et parfaitement rigoureux, nous vient encore une fois de Catalogne. Il s'agit d'une prise de position qui émane d'un des représentants les plus actifs de la nouvelle sociolinguistique catalane, Emili Boix. Ce dernier, en introduction à son excellent travail sur le choix des langues (catalan-castillan) des jeunes barcelonais de 16-20 ans à la fin des années quatre-vingts nous livre en ces termes une position que je partage totalement :

 

  • "Al nostre país la sociolingüística va aparèixer compromesa, enemiga de neutralismes davant del conflicte lingüístic als Països Catalans, amb l'afany d'intervenir en els projectes de recuperació nacional i social. L'estudi que aquípresento vol continuar en aquesta tradició d'interès en els afers col·lectius, per¬ò vol aplegar-la amb exigències de rigor. Crec que les emocions i les passions són necessàries per posar i mantenir els motors en marxa, però que, després, cal saber on són els problemes i tenir dades per poder opinar intentant no confondre les nostres descripcions amb les nostres esperances" (7).

Refuser une fausse neutralité n'autorise évidemment aucune faiblesse scientifique. Et dans sa démarche scientifique, le sociolinguiste impliqué doit donc, me semble-t-il, établir un diagnostic irréprochable sur la base de quelques lignes de force théoriques et méthodologiques, comme en particulier :

 

  • le refus de sacrifier la dimension microlinguistique à la dimension macrolinguistique ;
  • la priorité à donner à la vision diachronique sur une vision strictement synchronique ;
  • le choix d'envisager la configuration sociolinguistique en cause comme fondamentalement évolutive ;
  • l'importance décisive à accorder à la dimension représentationnelle du conflit sociolinguistique, latent ou déclaré, au-delà des fausses évidences comportementales et des apparents paradoxes en matière d'attitudes.

Un exemple, qui me semble une bonne conclusion, de cette attitude de sociolinguiste impliqué et parfaitement rigoureux, nous vient encore une fois de Catalogne. Il s'agit d'une prise de position qui émane d'un des représentants les plus actifs de la nouvelle sociolinguistique catalane, Emili Boix. Ce dernier, en introduction à son excellent travail sur le choix des langues (catalan-castillan) des jeunes barcelonais de 16-20 ans à la fin des années quatre-vingts nous livre en ces termes une position que je partage totalement :

 

  • "Al nostre país la sociolingüística va aparèixer compromesa, enemiga de neutralismes davant del conflicte lingüístic als Països Catalans, amb l'afany d'intervenir en els projectes de recuperació nacional i social. L'estudi que aquípresento vol continuar en aquesta tradició d'interès en els afers col·lectius, per¬ò vol aplegar-la amb exigències de rigor. Crec que les emocions i les passions són necessàries per posar i mantenir els motors en marxa, però que, després, cal saber on són els problemes i tenir dades per poder opinar intentant no confondre les nostres descripcions amb les nostres esperances" (7).

 Notes

  • (1) Voir Ph. Gardy et R. Lafont, "La diglossie comme conflit: l'exemple occitan", Langages n° 61, 1981 et H. Boyer, Langues en conflit, Paris, L'Harmattan, 1991
  • (2) R. Lafont, "Pour retrousser la diglossie", Lengas n° 15, 1984 , p 8
  • (3) Voir R. Ll. Ninyoles, "Idéologies diglossiques et assimilation" dans H. Giordan et A. Ricard (éds.), Diglossie et littérature, Bordeaux-Talence, Maison des Sciences de l'Homme, 1976 : 154-155
  • (4) Ph. Gardy et R. Lafont , article cité, : p.71; c´est moi qui souligne.
  • (5) Voir les résultats particulièrement intéressants à cet égard du volet « Langues » de l'Enquête Famille conduite par l'INED lors du recensement de 1999 (F. Clanché, "Langues régionales, langues étrangères: de l´héritage à la pratique", INSEE nº 830, févr. 2002)
  • (6) "Pour retrousser la diglossie", art. cité.
  • (7) E. Boix, Triar no és trair, Barcelona, Edicions 62, 1993, p 13. C'est moi qui souligne.

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